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NanoSciences de Paris
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Mécanique multi-échelles des solides faibles, faits marquants

Comment se réarrange un empilement de bulles proche du blocage ?

Les chercheurs de l’équipe « Mécanique multi-échelles des solides faibles » de l’INSP ont étudié la dynamique des changements topologiques dans une mousse, à l’aide d’une expérience fondée sur la diffusion multiple de la lumière cohérente. Ils ont montré qu’à la transition de blocage (« jamming »), la mousse perdant son élasticité, plus rien ne pousse les bulles les unes contre les autres et la durée des réarrangements diverge !

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Les mousses liquides sont constituées d’empilements compacts de bulles dans un liquide savonneux. Ce sont des fluides complexes intrinsèquement hors équilibre. Ainsi, un cristal de bulles initialement quasi monodisperse vieillit sous l’effet du transfert de gaz à travers les films : les petites bulles se vident dans les grosses. Peu à peu, la structure devient polydisperse et désordonnée (cf. figure a). Ce mûrissement entraîne des réarrangements intermittents de l’empilement. Des évènements similaires gouvernent l’écoulement des mousses et des émulsions. Nous avons montré que leur durée est gouvernée par un couplage entre la rhéologie des monocouches de tensioactifs adsorbés aux interfaces liquide-gaz, l’écoulement visqueux du liquide interstitiel, et la pression de confinement.

 

JPEG a) Images successives d’une mousse après une durée t de mûrissement. Initialement, ordonnée et quasi monodisperse, elle devient progressivement désordonnée et polydisperse.

 

 

 

Les réarrangements au sein d’une mousse ne peuvent pas être observés directement car les nombreuses interfaces gaz-liquide réfractent et réfléchissent la lumière. Pour pallier cette difficulté, nous utilisons une technique de diffusion multiple de la lumière cohérente (Time Resolved Correlation Spectroscopy). Elle consiste à analyser les fluctuations temporelles de la figure d’interférences formée par les photons rétrodiffusés après une marche aléatoire dans la mousse. Nos expériences montrent que, si les monocouches de tensioactifs aux interfaces sont mobiles, la durée des réarrangements est pilotée par la compétition entre la pression de confinement, qui détermine les forces de contact entre bulles, et l’écoulement visqueux dans les canaux liquides.

 

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b) Durée de réarrangement adimensionnée en fonction de la pression de confinement adimensionnée par la pression de Laplace. Les courbes représentent la loi d’échelle que nous avons prédite, respectivement pour des mousses ordonnées (trait plein) et désordonnées (tirets). Ainsi, la durée des réarrangements diverge quand la pression diminue à l’approche de la transition de blocage (« jamming »), en accord avec un modèle physique dont nous avons établi la loi d’échelle (cf. figure b). Si au contraire, les interfaces sont rigidifiées (en ajoutant un co-tensioactif insoluble dans l’eau), la durée des évènements augmente de plus d’un ordre de grandeur : c’est la signature d’écoulements dans les films ou sur les interfaces.

 

Nos expériences mettent en évidence que la dynamique de réarrangement des bulles dans les mousses fait intervenir une association de processus à de multiples échelles de temps et de longueur. Pour étudier cette dynamique à la transition de blocage, une expérience analogue en microgravité sur la Station Spatiale Internationale est en cours d’élaboration dans le cadre d’un projet européen (ESA et CNES). Identifier les mécanismes en jeu est fondamental pour comprendre le vieillissement et la rhéologie des milieux mous désordonnés (mousses, émulsions, suspensions de microbilles de gel, pâtes, suspensions de grains rigides) utilisés dans de nombreuses applications, comme la production du pétrole ou le traitement des eaux.

Pour en savoir plus

M. Le Merrer, S. Cohen-Addad, R. Höhler, Physical Review Letters 108, 188301 (2012)